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Texte d’orientation de la Commission Culture du PCF 31
1. Appréhender la « culture » sous un prisme marxiste :
La définition traditionnelle de la culture en anthropologie englobe l’ensemble des connaissances, croyances, expressions artistiques, principes moraux, systèmes juridiques, coutumes, ainsi que toutes les compétences et habitudes que les individus acquièrent en tant que membres d’une société. La culture peut être considérée comme une « compétence » nécessaire pour le comportement social, elle n’est pas innée mais acquise. Elle se décompose en deux aspects : d’une part, un aspect intellectuel englobant les connaissances et les croyances liées au monde, et d’autre part, un aspect pratique qui concerne les manières de se comporter au sein de la société, que ce soit envers les objets (comme l’art ou les métiers) ou envers les autres (comme la morale, le droit, ou les coutumes). Ainsi, la culture se distingue de la nature, étant composée de représentations mentales (dans le domaine cognitif) et de comportements (dans le domaine pratique) qui sont acquis par l’individu au cours de sa socialisation.
Dans la pensée marxiste, la culture est déterminée par la « superstructure » que Karl Marx (1818-1883) définit ainsi dans l’avant-propos de sa Critique de l’économie politique (1859) :
« L’ensemble (des) rapports [de production] forme la structure économique [infrastructure] de la société, la fondation réelle sur laquelle s’élève un édifice juridique et politique [superstructure], et à quoi répondent des formes déterminées de la conscience sociale. »
Aux superstructures juridiques et politiques, il faut également ajouter les superstructures « religieuses, artistiques, philosophiques », en somme l’ensemble des « formes idéologiques », que Marx cite plus loin dans le texte, et qui façonnent nos croyances, nos représentations et nos imaginaires. Aujourd’hui, nous pouvons dire que la culture est un domaine hybride, parcellisé, polymorphe dans ses différents secteurs (scientifique et technique, politique, plastique, architecture, livre, presse, patrimoine, cinéma, théâtre, audiovisuel, chorégraphie, etc.) qui procèdent d’une interpénétration dialectique.
Le problème de la dialectique entre l’infrastructure et la superstructure est important pour les marxistes depuis le milieu du XIXe siècle jusqu’à nos jours, tant pour comprendre le fonctionnement de la société et le développement de l’histoire que pour penser le processus révolutionnaire. Ce passage crucial de la pensée de Marx influença les théoriciens marxistes ou progressistes en général, intéressés par les questions culturelles tout au long du XXe siècle, de Jean Jaurès à Walter Benjamin, en passant par Lénine ou Louis Althusser. Le penseur communiste italien Antonio Gramsci (1891-1937) – sans doute le plus cité sur cette thématique –, a proposé le concept d’« hégémonie culturelle » pour décrire la domination idéologique de la classe dirigeante, ainsi que le rôle que les pratiques quotidiennes et les croyances collectives jouent dans l’établissement des systèmes de domination.
Comme Gramsci, qui part du postulat que la conquête du pouvoir présuppose celle de l’opinion publique, nous sommes convaincus que la transformation radicale des conditions, moyens et rapports de production ne pourra advenir sans une transformation radicale simultanée des phénomènes culturels qui participent plus subtilement au maintien, à la reproduction et aux évolutions de cette infrastructure capitaliste. En ce sens, une révolution sociale s’accompagne nécessairement d’une « révolution culturelle ».
Le postmodernisme : spécificité culturelle du capitalisme néolibéral
Nous vivons aujourd’hui une ère culturelle communément appelée « postmoderne ». Ce terme vise à décrire les nouvelles expressions de la culture qui ont surgi à partir des années 1970, intimement liées à la réorganisation socio-économique du capitalisme à la fin du XXe siècle. Cette dominante culturelle se distingue par une apparente diversité et un relativisme culturel qui remettent en question la notion de vérité objective, de récits historiques universels et de réalité stable. Cette perspective encourage une approche fragmentée de la réalité, de la connaissance et de la culture.
La progressive états-unisation culturelle et économique de nos sociétés occidentales dans l’après-guerre, avec le Plan Marshall notamment, s’est accompagnée de l’émergence d’une société de consommation et d’une certaine uniformisation de nos goûts et pratiques. À la suite des crises systémiques du capitalisme mondial dans les années 1970, les gouvernements occidentaux ont impulsé la mise en marche forcée d’un système néolibéral sauvage qui a entraîné une réorganisation internationale du travail, avec d’importantes délocalisations dans les secteurs primaire et secondaire, ainsi qu’une transition vers une économie tertiaire, englobant la finance, la technologie de l’information, les médias, le divertissement et la publicité, dominée toujours davantage par des monopoles.
Le postmodernisme a alors assumé un rôle crucial en tant que traduction culturelle nécessaire pour légitimer le néolibéralisme. Il a permis d’instaurer une plus grande flexibilité dans les formes de consommation et de relations sociales. En résulte l’émergence d’une culture de la consommation mettant l’accent sur l’individualisme, la célébration de la diversité – pour couvrir toujours davantage de nouveaux marchés – et la recherche d’expériences personnelles. Cette dynamique a parallèlement contribué à la fragmentation de la société, tant sur le plan culturel que social, en remettant en question les repères et les valeurs hérités au profit d’une multitude d’identités et de perspectives variées.
Paradoxalement, il s’en suit une homogénéisation culturelle particulièrement sensible au travers de l’importance grandissante des séries télévisées, du formatage de l’écriture et de l’édition, de la main mise par le privé sur les médias, faisant reculer de plus en plus la place de la création et de la réflexion.
Dans ce contexte, le domaine de la culture tend à devenir celui de purs produits soumis aux lois du marché, provoquant de surcroît une occultation du réel immense et historiquement originale, un grand saut dans ce que Walter Benjamin appelait « l’esthétisation de la réalité ». Plusieurs théoriciens, dont Guy Debord dans La Société du spectacle (1967), ont dressé le constat de l’avènement d’une culture du simulacre qu’ils ont rattaché à une société où la valeur d’échange s’est généralisée à tel point qu’elle en a effacé le souvenir même de la valeur d’usage.
Ce « simulacre », dont l’effet est augmenté par les techniques informatives et communicationnelles depuis plusieurs décennies, biaise les rapports sociaux et la vision du monde car elle déforme la réalité sans laisser de place au regard critique ni à l’analyse scientifique des individus.
La problématique s’est de surcroît accentuée avec l’avènement des réseaux sociaux qui peuvent aussi bien authentifier que discréditer toute information. En ce sens, demain, le pire est à craindre avec l’implantation de l’« Intelligence Artificielle » (IA). Fabuleuse invention, produit de la recherche scientifique, c’est aussi l’invasion éventuelle du monde par les fables. Par le biais des détournements, mensonges, infox, tout y devient virtuellement possible du point de vue de tout type de création, sans même laisser l’illusion qu’il peut s’agir d’un jeu masqué. Ce phénomène menace clairement dans ses fondements la conscience, le libre-arbitre, la sensibilité et la réflexion, individuelles comme collectives. Il s’inscrit dans la droite lignée de la volonté de subordination des idées par la manipulation et peut considérablement et dangereusement l’intensifier à des échelles inédites.
Depuis des décennies, s’ajoute également à ce phénomène la financiarisation toujours plus accrue des domaines culturels, particulièrement dans les secteurs du livre, de la presse, du patrimoine, du cinéma, et qui menace toute forme d’expression artistique, qu’elle soit théâtrale, plastique, audiovisuelle… Même si elle pèse aujourd’hui beaucoup plus qu’hier, cette hégémonie de l’argent n’est intervenue en France que de façon diffuse et différée, petit à petit, contrairement à l’ensemble des pays européens aujourd’hui. Rappelons que la France bénéficie de « l’exception culturelle » dans les tractations internationales, car ayant établi des dispositifs réglementaires qui protègent et développent cet héritage si particulier, politiquement issu des différentes révolutions et luttes menées par des créateurs et des acteurs culturels. Aussi la culture partagée, diverse, inter-pénétrante, grâce à une politique menée à la fois par l’État, les collectivités, les partenaires culturels et sociaux a-t-elle pu se développer, tisser des liens, exprimer des résistances et des oppositions. Il s’agit là d’une spécificité culturelle française, une contradiction interne au capitalisme néolibéral, qu’il convient d’étudier et d’exploiter.
Toutefois, en dépit de cette exception culturelle, nous ne sommes pas à l’abri en France du retour des conservatismes et de l’extrême-droite. Certains courants réactionnaires et néoconservateurs exploitent habilement la critique du postmodernisme pour susciter la peur et alimenter les conflits identitaires et culturels. Ils accusent le relativisme culturel, tout en l’utilisant, pour promouvoir des récits révisionnistes de l’histoire, et ce, afin de justifier leurs agendas politiques. Ces idéologues, comme Eric Zemmour ou d’autres influenceurs d’extrême-droite, manipulent les peurs de certains groupes ou personnes en promouvant des discours de guerres identitaires et de civilisation, prétendant que la préservation de leur propre culture est menacée. Ainsi, avec l’aide de grands groupes médiatiques comme Bolloré, ils façonnent leur légitimité politique en exploitant les angoisses culturelles, tout en détournant les populations des véritables enjeux socio-économiques à la source de leur exploitation.
2. Fonctionnement, missions et objectifs de la commission culture fédérale
« Les partis sont les élaborateurs des intellectualités nouvelles. »
Antonio Gramsci
Face aux menaces ultralibérale, néoconservatrice et autoritaire, les communistes doivent agir, être forces de proposition pour offrir les perspectives d’une visée culturelle émancipatrice, mettant au cœur de son projet la pensée critique et l’ouverture d’esprit.
La spécificité de notre parti nous impose un devoir de critique de tous les conservatismes. Ceux-ci peuvent s’exprimer avec talent, de manière détournée, et bénéficient de ce fait d’une diffusion avec la caution d’une grande partie de personnalités se réclamant même de la gauche. Sans déroger à la liberté de création nous devons toujours contribuer à clarifier le distinguo entre ce qui participe et favorise, au final, faute d’alternative claire, une banalisation des thèses de l’extrême droite et ce qui développe un niveau de conscience en faveur d’une révolution politique et sociale.
La commission culture a pour principal objectif de constituer un lieu d’échanges et de réflexions, permettant d’assurer une mise en relation interactive entre le parti, ses différentes instances, et le monde culturel.
Pour parfaire ses connaissances et sa réflexion théoriques, la commission culture fédérale se propose d’étudier les écrits des théoriciens marxistes (Antonio Gramsci, Georg Lukács, Theodor Adorno et Max Horkheimer, Louis Althusser, Raymond Williams, Stuart Hall, Fredric Jameson, Perry Anderson, Slavoj Žižek) ainsi que de renouer avec les pratiques de militants culturels comme Paul Vaillant-Couturier, Jack Ralite ou Félix Marcel Castan.
Priorisant le département, elle doit néanmoins interagir avec la commission nationale et avec ses homologues d’autres fédérations, particulièrement dans la Région Occitanie.
Pour cela, elle s’efforcera de renforcer et, dans certains domaines, de (re)constituer un réseau associant les différents acteurs de la vie culturelle.
La commission assure un rôle de veille concernant les structures, événements et mobilisations culturels. La commission peut faire appel à des correspondants afin d’assurer la diffusion des informations culturelles et leur prise en compte dans nos activités et priorités militantes.
La commission se réserve le droit d’agréger à sa réflexion un certain nombre d’intervenants extérieurs, proches de nos idées ou ayant une volonté de nous aider, dans le respect des statuts existants.
En l’absence d’autres structures internes dédiées au sein de la fédération, la commission s’efforcera de proposer des rencontres avec des artistes, des auteurs et autrices, des chercheur·e·s autour de créations, présentations d’ouvrages, entretiens, conférences, ciné-débats, etc. Cela suppose également un contact privilégié avec, entre autres, le secteur formation du PCF 31, le MJCF 31, la librairie de la Renaissance, Espace Marx et d’autres associations amies et partenaires.
Pour que nos idées et nos propositions puissent être partagées largement, elles doivent déjà imprégner les adhérents. La commission devra donc avoir à cœur de proposer des synthèses et des formations sur des questions fondamentales à destination des adhérent·e·s. Sa réflexion sert d’appui autant que de besoin à la direction départementale du PCF 31.
Texte collectif,
Toulouse, septembre 2023